Les juristes de l’Onest ont analysé le décret n° 2025-1030 du 31 octobre 2025 relatif aux opérateurs de référence des armées pour la coopération militaire internationale, publié au Journal Officiel n° 0258 du 1er novembre 2025.
Vous trouverez ci-dessous un résumé de l’analyse livrée en détails dans le fichier joint.
– Violation du principe de clarté et d’intelligibilité de la loi et du principe de souveraineté nationale
– Violation de l’objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d’accessibilité de la loi
– Violation de l’article 3 de la Constitution et l’article 3 de la DDHC
– Violation de la loi pénale relative à la protection des intérêts supérieurs de la Nation
– Violation du principe général d’interdiction de déléguer des compétences de police à une personne privée
– détournement de pouvoir
Le décret crée un nouveau régime d’ « opérateurs de référence » dotés de « droits exclusifs ou spéciaux » et sont susceptibles d’intervenir dans les domaines terrestre, maritime, aérien, spatial et de cyberdéfense afin d’accompagner, de prolonger ou d’agir à la place de l’État en matière de coopération internationale militaire ou au profit d’un État tiers dans le cadre d’un partenariat face à une situation de crise ou de conflit.
Ces opérateurs privés peuvent être établis dans un état de l’Union européenne ou partie à l’accord sur l’Espace économique européen. Ils sont habilités à exploiter des documents « secret défense » et à transmettre les savoir-faire militaires des forces armées françaises. Ils peuvent également organiser les modalités de coopération, c’est à dire prendre le commandement en devant chef de file et, notamment sur le territoire français, se substituer aux forces armées françaises.
Contestation de ce décret en matière de compétence réglementaire :
1/ Il est en contravention de l’article 34 de la constitution qui stipule que c’est la loi qui détermine les principes fondamentaux de l’organisation générale de la Défense nationale et affecte les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de l’État ainsi que leur organisation fonctionnelle.
2/ Il substitue des employés privés, qui bénéficient d’un droit de retrait mais n’ont pas le même niveau d’entraînement ou d’engagement que les militaire et fonctionnaires de l’armée française et porte ainsi atteinte au prestige de cette dernière.
3/ Il fragilise le statut des fonctionnaires des forces armées françaises en ce que les personnels privés peuvent bénéficier de conditions d’emploi et de rémunération plus avantageuses.
4/ Il participe à la désorganisation du ministère comme l’a rappelé la commission d’évaluation et de contrôle.
5/ Il entrainera des suppressions de postes dans des proportions non précisées parmi les fonctionnaires des forces armées françaises.
6/ Il ne précise pas la nature des personnels pouvant être substitués par des opérateurs privés alors même que certaines fonctions ont un caractère stratégique qui s’oppose à leur transférabilité.
7/ Il affecte les principes fondamentaux d’organisation de la défense nationale et du principe fondateur de la souveraineté nationale, tels que prévus dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et de la Constitution du 4 octobre 1958. Le respect de la souveraineté nationale est assurée par l’expression de la représentation nationale (outre le référendum) et elle seule et par l’attribution des fonctions les plus sensibles dans le domaine de la défense aux seuls ressortissants nationaux. Le régime d’opérateurs privés dans le domaine de la défense ne peut être réglementaire du fait de la répartition constitutionnelle des compétences.
8/ La force publique est instituée pour l’avantage de tous et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée. Il en découle l’interdiction traditionnelle de délégation de compétences de police administrative et a fortiori de la force militaire à des personnes privées. Les missions régaliennes de police, de justice, de diplomatie ou de guerre ne sauraient être financées par une technique les soumettant à des personnes privées.
Contestation de ce décret en matière de violation de la loi :
A/ Le décret viole le principe de clarté et d’intelligibilité de la loi et, de ce fait, le principe de souveraineté nationale et doit, de ce fait, être annulé.
1/Ce décret est un règlement autonome qui méconnaît une norme à valeur constitutionnelle, confirmée par le DDHC et la CEDH en ce qu’il ne répond ni à l’exigence de clarté ni à celle de précision ; les règles ne sont pas énoncées de façon précises, claires, intelligibles et accessibles, elles ne sont pas explicités et ne prémunissent donc pas contre le risque d’arbitraire.
Ainsi le décret ne définit pas la qualification « d’opérateur de référence » et par suite, « d’opérateur chef de file » et ne considère pas le sensibilité de certaines fonctions et de la nécessité consécutive d’opérateur de nationalité française, ouvrant la possibilité d’attributaires de nationalité étrangère.
Un rapport de la commission de la défense nationale évoquait l’artifice d’entreprises se revendiquant françaises afin de bénéficier de mesures de soutien tout en ayant leur siège en dehors du territoire national. La protection des intérêts essentiels de sécurité nationale n’est pas assurée.
2/ Ce décret ne fournit aucun élément de garantie que doivent présenter les opérateurs candidats alors même qu’il s’agit de souveraineté nationale, d’indépendance stratégique, d’intérêts vitaux de l’État et de questions qui couvrent le secret-défense.
Certaines questions déjà formalisées lors de commissions, de rapports de la Cour des comptes ou de recommandations parlementaires ne sont pas prises en compte par le décret : Qui garantit que les opérateurs privés, non soumis à un droit strict, ne nuiront pas aux intérêts français en faisant bénéficier, à des rivaux, de nos réseaux, nos techniques, nos modes opératoires ? Qui garantit leur fiabilité technique, leur solidité, la disponibilité de leur personnel ? Personnel qui, privé, pourrait exercer son droit de retrait. Qui garantit la sécurité des prestataires, des opérations, des renseignements et la protection des personnels et matériels militaire ? Qui opérera un contrôle étatique avec toutes les exigences requises ?
3/ Les termes de « prestation » ou « missions », dont la liste est équivoque, ne sont ni explicités, ni cadrés. Non plus que les missions de soutien qui seraient transférables à des opérateurs privés alors qu’elles ont d’importantes implications en termes de sécurité. Et toujours pas concernant les « savoir-faire de forces des armées françaises » ou les missions de réaction en matière de déploiement humain ou d’infrastructures. etc.
4/ Le décret est particulièrement laconique sur la transférabilité de « secrets de la défense nationale », alors même que le Code de la défense impose, sauf exceptions prévues par la loi, une décision d’habilitation. En l’absence d’autorisation législative, ce décret est illégal.
5/ L’exercice du « monopole de la violence légitime » est une fonction régalienne ne pouvant pas être déléguée à une prestataire privé. Non plus que ne le sont les missions mettant directement en œuvre la souveraineté. Une commission des finances avait relevé que les externalisations comportaient de graves inconvénients sur le plan de l’autonomie stratégique de la France tandis que la Cour des comptes estimait que les missions impliquant l’usage de la force, le soutien des phases d’opération et de contact des formations tactiques ne sauraient faire l’objet d’aucune externalisation. Le rapport parlementaire soulignait le problème de l’autonomie stratégique de nos armées.
6/ La qualification des « droits exclusifs ou spéciaux » n’est pas non plus explicitée alors que l’éventail des droits entrant dans la catégorie est large.
7/ Ce décret confie aux opérateurs de référence ou chef de file la « transmission contrôlée des savoir faire des forces militaires françaises », et méconnait ainsi les principes posés par les dispositions des articles 410-1 et suivants du code pénal relatifs à la répression des atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation. Un règlement ne saurait contrevenir à une loi pénale non plus qu’aux principes fondamentaux qu’elle pose. Ce décret porte atteinte à plusieurs principes essentiels posés par les articles précités comme la protection renforcée de documents et savoir-faire classifiés et relevant du secret défense.
8/ Le décret viole le principe posé par le Code pénal, d’unité du commandement armé, sous la responsabilité du législateur. Ainsi est interdit le fait d’organiser un groupe de combat, tout comme le fait de prendre part aux hostilités en vue d’obtenir un avantage personnel ou une rémunération nettement supérieure à celle des combattants des forces armées.
9/ Le décret contrevient au principe posé par le code pénal de désorganisation des armées en créant un effet d’appel d’air de nature à détourner les forces de l’armée française vers l’emploi privé chez lesdits opérateurs, assimilable à une entreprise de démoralisation de l’armée et d’entrave au fonctionnement normal du personnel militaire. Une désorganisation des services des forces armées françaises expose à une perte définitive de compétence et de savoir-faire. Ce risque ne peut qu’augmenter si le mouvement d’externalisation se poursuit et touche des domaines de hautes technicités. Les armées mettent légitimement en avant les besoins liés aux opérations et insistent pour conserver des capacités minimales en propre.
10/ La définition du champ de transférabilité à des opérateurs privés est un élément fondamental qui détermine les capacités opérationnelles, tout autant qu’il conditionne l’indépendance stratégique de la France. Les rapports parlementaires sont unanimes à ce sujet. La question de la réversibilité se pose également pour la plupart des externalisations, faute de moyens et techniques et des inévitables pertes de savoir-faire et par voie de conséquence la dépendance vis-à-vis d’un prestataire qui pourrait être défaillant pour des raisons économiques, politique ou sécuritaire. Le rapport de la commission des finances et la Cour des comptes soulignaient que certaines externalisation ne sont qu’un palliatif de lacunes capacitaires mettant en cause l’autonomie stratégique de la France et qu’une compétence perdue l’était généralement de manière irréversible.
11/ L’article 12 de la Déclaration de 1789 interdit de déléguer à des personnes privées des compétences de police administrative générale inhérentes à l’exercice de la « force publique » et à plus forte raison les missions d’ordre militaire relevant du domaine de la défense. Ces compétences régaliennes ne peuvent être ni transférées à une personne de droit privé ni être exercée sous-couvert d’une structure de droit privé. Cette exigence constitue un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France. Le décret encours l’annulation en ce qu’il ne précise pas les « prestations » et « missions » pouvant être confiées à des opérateurs privés, ni l’absence du pouvoir de contrainte confié aux opérateurs, ni la nature du contrôle exercé en cas de violation de ce principe d’interdiction.
Contestation de ce décret en matière de détournement de pouvoir :
Le détournement de pouvoir consiste en l’utilisation d’une prérogative – en l’occurrence du pouvoir règlementaire- dans un autre but que celui pour lequel il a été institué.
Ce vice est d’ordre subjectif et repose sur les intentions. Il existe une hypothèse proche qui est celle du détournement de procédure. Dabs ce cas, l’administration utilise une procédure réservée par les textes à des fins autres que celles qu’elle poursuit.
Le décret stipule que le ministère de la défense peut confier à des opérateurs tout ou partie des missions au profit d’un État tiers faisant face à une situation de crise ou conflit armé. L’intervention d’une société militaire privée sur le théâtre d’opération étranger revient à engager la France sur ce conflit au regard du droit international. Or, l’article 35 de la Constitution stipule que seul le Parlement peut autoriser un tel engagement. Ce décret pourrait avoir été pris afin de contourner l’article 35 de la Constitution et engager la France sans requérir l’aval du Parlement. Plusieurs déclarations d’Emmanuel Macron accréditent cette hypothèse. L’utilisation de ce décret placerait l’auteur de l’intervention en situation de porter atteinte au principe constitutionnel issu de l’alinéa 14 de la Constitution du préambule de 1946.